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Droit du travail

Cour d’appel de Paris, Pôle 6 chambre 11, 24 septembre 2024, n° 21/09131

Arguments

  • Accepté – Absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
    La cour a confirmé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en raison de l’absence de preuves suffisantes de la faute reprochée au salarié.
  • Accepté – Remboursement des indemnités de chômage
    La cour a ordonné le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage versées au salarié, conformément aux dispositions légales.
  • Accepté – Frais exposés pour faire valoir ses droits
    La cour a jugé qu’il était inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais exposés pour faire valoir ses droits, et a donc accordé une indemnité au titre de l’article 700.

Sur la décision

Référence :
Juridiction :Cour d’appel de Paris
Numéro(s) :21/09131
Importance :Inédit
Décision précédente :Conseil de prud’hommes de Bobigny, 29 septembre 2021, N° F19/00711
Dispositif :Autre
Date de dernière mise à jour :29 septembre 2024
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Sur les parties

Avocat(s) :

Véronique DAGONET Catherine SCHLEEF

Jeanne BAECHLIN
Parties :S.A.S.U. DEDICATED FREIGHT SERVICES

Texte intégral

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/09131 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CETM6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Septembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° F 19/00711

APPELANTE

S.A.S.U. DEDICATED FREIGHT SERVICES

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

INTIME

Monsieur [P] [T] [W]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Catherine SCHLEEF, avocat au barreau de PARIS, toque : C1909

PARTIE INTERVENANTE

Organisme POLE EMPLOI

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau du Val-de-Marne, toque: PC : 003

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Catherine VALANTIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Marika WOHLSCHIES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIIGE

M. [P] [T] [W], né en 1974, a été engagé par la société régie manutention service, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 juillet 2008 en qualité de superviseur.

Son contrat de travail a été repris par la SASU Dedicated freight services (DFS) le 15 juillet 2013.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des transports routiers.

Par lettre datée du 16 novembre 2018, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 26 novembre 2018.

M. [W] a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 5 décembre 2018.

A la date du licenciement, M. [W] avait une ancienneté de 10 ans et 7 mois, et la société Dedicated freight services occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre l’octroi de dommages et intérêts pour l’absence d’indication de la convention collective applicable dans l’entreprise, M. [W] a saisi le 5 octobre 2021 le conseil de prud’hommes de Bobigny qui, par jugement du 29 septembre 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

— dit le licenciement de M. [W] sans cause réelle et sérieuse,

— condamne la société Dedicated freight services à verser à M. [Z] [W] les sommes suivantes :

—  39 163,50 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— rappelle que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de l’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit le 25 mars 2019, et que les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement,

— déboute M. [W] du surplus de ses demandes,

— déboute la société Dedicated freight services de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens.

Par déclaration du 4 novembre 2021, la société Dedicated freight services a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 5 octobre 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 avril 2022, la société DFS demande à la cour de :

— infirmer le jugement de première instance en ce qu’il a jugé le licenciement infondé et condamné la société Dedicated freight services à verser à M. [W] les sommes de 39 163,50 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts et 1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté la société Dedicated freight services de sa demande à ce titre,

— confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande d’indemnité pour brusque rupture et d’indemnité pour préjudice lié à l’absence de mention de la convention collective,

statuant à nouveau :

— juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

— débouter M. [W] de l’ensemble de ses demandes,

— condamner M. [W] à payer à la Société BFS, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 3000 euros,

à titre subsidiaire, si le conseil jugeait le licenciement infondé,

— constater que la demande de M. [W] au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est manifestement excessive et la fixer à la somme de 11.798 euros et en tout état de cause la plafonner à la somme de 39.160 euros.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 7 mars 2022, M. [W] demande à la cour de :

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

— dit le licenciement de M. [W] sans cause réelle et sérieuse,

— condamne la société Dedicated freight services (DFS) à verser à M. [W] les sommes suivantes :

—  39 163,50 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  1 200,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— rappelle que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de l’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit le 25 mars 2019 et que les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement,

— l’infirmer pour le surplus et en conséquence,

— condamner la société défenderesse à payer à M. [W] les sommes suivantes :

— la somme de 2000 euros à titre d’indemnité pour licenciement pour brusque rupture,

— la somme de 1500 euros à titre d’indemnité pour préjudice découlant de l’absence d’indication de la convention collective applicable dans l’entreprise,

— condamner la société Dedicated freight services (DFS) à verser à M. [W] la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 novembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 7 décembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Pour infirmation du jugement la société DFS fait valoir que le salarié n’a pas respecté les règles élémentaires de sécurité en matière de chargement, bien qu’il ait suivi toutes les formations nécessaires, et que les faits reprochés au soutien du licenciement sont donc établis et constitutifs d’une cause réelle et sérieuse.

M. [W] réplique que son employeur ne rapporte pas la preuve de l’endommagement des palettes, d’un préjudice commercial ou financier, de l’altération de ses relations avec le client, de la réalité des risques sanitaires dont il a fait état et du fait qu’il ait été formé pour la gestion d’un incident de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l’article 1232-1 du code du travail tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l’article L 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si un doute subsiste il profite au salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement du 5 décembre 2018 qui fixe les limites du litige M. [W] a été licencié pour cause réelle et sérieuse en ces termes:

‘ … Le 14 novembre 2018 lors du chargement d’un lot de 13 palettes de vaccins SANOFI sur les pinons dans le magasin, l’un de vos collègues a fait tomber une palette. Vous en avez été avisé et c’est en voulant continuer le chargement que vous avez fait tomber la 2ème palette , sans en avertir votre responsable ainsi que le client comme le prévoit la procédure. Les palettes ont donc été chargées dans l’avion à destination de [Localité 7] ( Etats-Unis). C’est l’agent de sécurité qui a prévenu le client.

Les palettes ont été mises en quarantaine à [Localité 7] en attendant les instructions du client.

Sanofi nous a demandé de leur fournir un rapport détaillé du déroulement de l’expédition et de l’absence de communication de cet incident. Vous comprendrez aisément que cet événement remet en cause la qualité de service que nous assurons à l’ensemble de nos clients ainsi que la confiance qu’ils nous accordent. Cela engendre également un préjudice commercial et altère les relations avec notre client.

De plus la valeur d’une palette s’élève à 779 000 euros. Cela engendre donc un préjudice financier pour notre client mais également pour notre entreprise.

Vous n’avez absolument pas respecté les règles élémentaires de sécurité en matière de chargement, alors que vous avez passé toutes les formations nécessaires. Vous avez également signé les procédures de ‘gestion magasin stockage’ animées par KUEHNE NAGEL, notre client.

Pour rappel, toute palette qui subit un choc quelque soit le dégré et l’impact, doit être vérifiée par les experts Sanofi avant un éventuel chargement. Une fois la vérification faite par leurs soins, le chargement peut se poursuivre. Votre manque de réaction est totalement innacceptable quand on connait les conséquences sanitaires que cela aurait pu engendrer si les vaccins avaient été mis sur le marché, sans vérification du laboratoire.

Lors de l’entretien nous avons constaté que vous mesuriez l’importance de votre geste puisque vous nous avez dit ‘j’assume tout, je connais bien les procédures’. Malgré tout cette attitude n’est pas acceptable puisque notre

métier nécessite un respect stricte des consignes et des procédures métier, aussi, il n’est plus possible de maintenir nos relations contractuelles…’

Il ressort des pièces versées aux débats de part et d’autre que, le 14 novembre 2018, un salarié travaillant sous la supervision de M. [W] et M. [W] lui même ont, en procédant au chargement de palettes dans un avion, chacun fait tomber une palette de vaccins SANOFI, et que M. [W] qui supervisait l’opération de chargement, n’a averti ni son responsable ni le client la société Kuehne et Nagel contrairement à ce que prévoit la procédure, les palettes ayant été livrées en frêt et acheminées jusqu’aux Etats-Unis.

Il est encore établi qu’informée le lendemain par un agent de sécurité présent au moment des faits, la société Kuehne et Nagel après avoir visionné les cameras de vidéo surveillance, a demandé à son agence de [Localité 7] de mettre les 13 palettes expédiées en quarantaine en attendant les instructions de SANOFI qui les a faites expertiser afin de vérifier si elles avaient été ou non endommagées et qui a émis des réserves auprès de la société Kuehne et Nagel estimant que le contrat de transport n’avait pas été respecté.

Le non respect de la procédure par le salarié qui aurait dû avertir son responsable est ainsi établi.

Si l’existence du préjudice financier mentionné par la société DFS n’est pas démontré il ressort du rapport d’expertise [Y] relatif aux 2 palettes versé aux débats que plusieurs cartons sur les étages supérieurs ont été trouvés légèrement froissés et certains écrasés et que si les flacons de vaccin contenus dans les cartons ne présentaient aucun signe visible de dommages, Sanofi avait estimé qu’ il y avait une possibilité de fissures capillaires qui pouvaient compromettre les flacons.

Il résulte toutefois des attestations circonstanciées et concordantes versées aux débats que le jour des faits M. [W] occupait 2 postes car il devait en plus de ses fonctions de superviseur exercer celles de son chef d’équipe export qui était absent, que l’équipe était en sous effectif et soumise à une charge de travail et une pression excessives et qu’aucun responsable n’était présent sur les lieux. Il est encore établi par les attestations et les fiches de paye que M. [W] qui devait accomplir de très nombreuses heures supplémentaires était soumis à une charge de travail excessive.

Il ressort ainsi de l’ensemble de ces éléments que l’employeur n’a pas mis son salarié en mesure de pouvoir exécuter correctement sa prestation de travail en respectant la procédure adéquate.

Il est encore démontré que M. [W] qui a été promu en 2010 responsable d’équipe puis en 2016 chef d’équipe import et export et enfin en 2017 superviseur, donnait entière satisfaction à son employeur ce que confirment les déclarations de ses collègues qui attestent de ses compétences et de son investissement et le fait qu’il n’ait au cours de l’exécution de son contrat de travail jamais fait l’objet de la moindre sanction ou du moindre recadrage.

Le licenciement prononcé par la société constitue une sanction manifestement disproportionnée et la décision du conseil de prud’hommes est en conséquence confirmée en ce qu’elle a jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

M. [W] ne justifiant d’aucun élément sur sa situation professionnelle postérieure au licenciement, il y a lieu par infirmation du jugement en ce qu’il a condamné l’employeur à payer au salarié en application de l’article L 1235-3 du code du travail, la somme de 39 163,50 euros à titre d’indemnité pour licnciement sans cause réelle et sérieuse, de lui allouer à ce titre au regard de son ancienneté la somme de 32 000 euros.

Il y a par ailleurs lieu , en application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, d’ordonner le remboursement par l’employeur à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié licencié à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi.

— sur le caractère vexatoire du licenciement:

M. [W] ne justifiant pas que le licenciement ait été accompagné de circonstances vexatoires , le jugement est confirmé en ce qu’il l’a débouté des demandes faites à ce titre.

— sur l’erreur relative à la convention collective mentionnée dans les bulletins de paie:

M. [W] qui se limite à affirmer que le défaut de mention de la convention collective sur les bulletins de paie ne lui a pas permis d’apprécier la globalité de ses droits et l’a empêché de formuler des demandes plus précises ne justifie pas d’un préjudice.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts.

— sur les autres demandes:

Pour faire valoir ses droits en cause d’appel M. [W] a dû exposer des frais qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge.

La société DFS sera en conséquence condamnée à payer au salarié outre la sommes allouée en 1ère instance, celle de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a condamné la la SASU Dedicated freight services à payer à M. [P] [T] [W] la somme de 39 163,50 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

et statuant à nouveau du chef de jugement infirmé et y ajoutant,

Condamne la SASU Dedicated freight services à payer à M. [P] [T] [W] la somme de 32 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne le remboursement par la SASU Dedicated freight services à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié licencié à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi.

Condamne la SASU Dedicated freight services à payer à M. [P] [T] [W] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SASU Dedicated freight services aux entiers dépens.

Le greffier La présidente