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Tribunal Judiciaire de Paris, 1 1 1 resp profess du drt, 30 octobre 2024, n° 23/08863

Arguments

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  • Accepté – Délai excessif de la procédure
    La cour a reconnu que le délai de 3 mois entre l’audience de plaidoirie et le prononcé de la décision était excessif, engageant la responsabilité de l’État pour un délai excessif global de 23 mois.
  • Accepté – Droit à remboursement des frais engagés
    La cour a jugé que, compte tenu des circonstances de l’affaire, la demanderesse avait droit à un remboursement de frais.

Sur la décision

Référence :
Numéro(s) :23/08863
Importance :Inédit
Dispositif :Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d’exécution au défendeur
Date de dernière mise à jour :8 novembre 2024
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Sur les parties

Avocat(s) :

Pierre D’ AZEMAR DE FABREGUES

Catherine SCHLEEF

Texte intégral

TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS [1]

[1] Expéditions

exécutoires

délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt

N° RG 23/08863 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2G7F

N° MINUTE :

Assignation du :

28 Juin 2023

JUGEMENT

rendu le 30 Octobre 2024

DEMANDERESSE

Madame [T] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Catherine SCHLEEF, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C1909

DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Pierre D’AZEMAR DE FABREGUES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0137

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,

Premier Vice-Procureur

Décision du 30 Octobre 2024

1/1/1 resp profess du drt

N° RG 23/08863 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2G7F

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint

Président de formation,

Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe

Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-présidente

Assesseurs,

assistés de Monsieur Gilles ARCAS, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 02 Octobre 2024

tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition

Contradictoire

en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Le 26 novembre 2020, Madame [T] [Y] a saisi le conseil des prud’hommes d’Evry, lequel a convoqué les parties à l’audience devant le bureau de jugement du 28 janvier 2021.

A la demande des parties, l’affaire a fait l’objet d’un renvoi à l’audience du 22 mars 2021, date à laquelle l’affaire a été plaidée et mise en délibéré.

Le jugement a été rendu le 3 juin 2021.

Le 26 juin 2021, Madame [T] [Y] a interjeté appel du jugement devant la cour d’appel de Paris.

Par avis du 31 août 2023, l’audience de plaidoirie a été fixée au 21 octobre 2024.

C’est dans ce contexte que, par acte du 28 juin 2023, Madame [T] [Y] a fait assigner l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

Aux termes de cette assignation, Madame [T] [Y] sollicite la condamnation de l’agent judiciaire de l’État à lui payer, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

— la somme de 10.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

— la somme de 2.400,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Catherine Schleef.

Madame [T] [Y] estime que la durée de la procédure est excessive et engage la responsabilité de l’État pour déni de justice.

Suivant conclusions signifiées le 6 février 2024, l’agent judiciaire de l’État demande au tribunal de :

— débouter Madame [Y] de sa demande d’indemnisation ;

— réduire la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile à de plus justes proportions ;

— la condamner aux entiers dépens de l’instance.

Il estime qu’aucun délai raisonnable n’est caractérisé, s’agissant de la procédure de première instance devant le conseil des prud’hommes, et que s’agissant de la procédure d’appel, l’audience de plaidoirie fixée au 21 octobre 2024 n’étant pas encore intervenue, le préjudice allégué par la demanderesse n’est qu’hypothétique.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la mise en état a été prononcée le 6 mai 2024 par ordonnance rendue le même jour par le juge de la mise en état.

A l’audience du 2 octobre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 30 octobre 2024, date du présent jugement.

SUR CE

Sur la demande principale :

Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Un déni de justice correspond à un refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires.

Il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, s’effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure, en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige, et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement.

Le seul non-respect d’un délai légal n’est pas suffisant pour caractériser un déni de justice mettant en jeu la responsabilité de l’État.

Enfin, la suspension de la majeure partie des activités juridictionnelles du 16 mars 2020 au 11 mai 2020, en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la covid-19, n’est pas imputable à l’Etat, dès lors qu’elle résulte des circonstances insurmontables inhérentes à la situation générale de confinement du pays et du déclenchement des plans de continuité d’activités des juridictions. Il en résulte que les délais supplémentaires résultant de cette période spécifique ne sont pas imputables au service public de la justice et ne peuvent contribuer à un déni de justice.

Les procédures en matière de litiges du travail appellent par nature une décision rapide (CEDH Frydlender c. France [GC], 2000, § 45 ; Vocaturo c. Italie, 1991, § 17 ; Ruoto-lo c. Italie, 1992, § 17).

En l’espèce, il y a lieu d’évaluer le caractère excessif de la procédure prud’homale litigieuse en considération, non de sa durée globale, mais du temps séparant chaque étape de la procédure.

Ainsi, à l’aune de ces critères, il convient de relever que :

— le délai de 2 mois entre la saisine du conseil de prud’hommes et la première audience devant le bureau de jugement n’est pas excessif ;

— le délai de 1 mois entre la première audience devant le bureau de jugement et l’audience de plaidoirie n’est pas excessif ;

— le délai de 3 mois entre l’audience de plaidoirie et le prononcé de la décision est excessif, et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 1 mois;

— S’agissant du délai entre la déclaration d’appel et l’audience de plaidoiries fixée au 21 octobre 2024, il convient de rappeler que le préjudice futur ne peut être réparé qu’à la condition d’être certain. Or, le déroulement à venir de la procédure d’appel postérieurement à la date de l’audience de plaidoiries du présent dossier est inconnu et peut notamment varier en raison d’une date avancée de plaidoiries ou d’un accord des parties. En outre, conformément au principe du contradictoire, chaque partie doit avoir été mise en mesure de prendre connaissance et discuter les arguments de fait, de droit et de preuve introduits dans les débats. Il en résulte que seule doit être examinée la période de 34 mois entre la déclaration d’appel et la date de clôture de la présente procédure, laquelle est excessive à hauteur de 22 mois.

La responsabilité de l’État est en conséquence engagée pour un délai excessif global de 23 mois.

S’agissant du préjudice, la demande formée au titre du préjudice moral est justifiée en son principe, dès lors qu’un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire.

Madame [T] [Y] ne justifie cependant pas d’un préjudice à hauteur des sommes demandées.

Il s’ensuit que l’indemnité allouée en réparation de son préjudice moral ne saurait excéder l’indemnisation du préjudice que le dépassement excessif du délai raisonnable de jugement cause nécessairement.

Le préjudice moral de Madame [T] [Y] est en conséquence entièrement réparé par l’allocation de la somme de 4.600,00 €.

En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.

Sur les demandes accessoires :

L’agent judiciaire de l’État, partie perdante, est condamné aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

En application de l’article 699 du code de procédure civile, Maître Catherine Schleef peut recouvrer directement contre l’agent judiciaire de l’État les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.

Enfin, compte tenu des situations économiques respectives des parties, de la durée de l’instance et des démarches judiciaires qu’a dû accomplir la partie demanderesse, l’agent judiciaire de l’État est condamné à verser à Madame [T] [Y] la somme de 900,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dis-pose autrement.

En l’espèce, aucune circonstance ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe à la date indiquée à l’issue des débats en audience publique en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, contradictoirement et en premier ressort,

CONDAMNE l’agent judiciaire de l’État à payer à Madame [T] [Y]:

— la somme de 4.600,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

— la somme de 900,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement;

CONDAMNE l’agent judiciaire de l’État aux dépens ;

DIT que Maître Catherine Schleef peut recouvrer directement contre l’agent judiciaire de l’État les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 30 Octobre 2024

Le Greffier Le Président

Gilles ARCAS Benoit CHAMOUARD